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Nicolas Le Dévédec : la perfectibilité humaine, des Lumières au transhumanisme

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L’étude d’une société dite de l’amélioration, par le philosophe Nicolas Le Dévédec, fait apparaître une filiation dans l’idée d’une perfectibilité de l’individu depuis Condorcet en passant par Comte jusqu’aux auteurs transhumanistes contemporains.

Dans l’idée d’une perfectibilité humaine, l’auteur distingue la perfectibilité de la société, celle de Rousseau notamment, de la perfectibilité des individus. Il cherche à comprendre comment le modèle humaniste et politique de la perfectibilité de la société a pu se muer en un transhumanisme technique et biotechnique. Il montre comment l’amélioration politique de la société : « l’idéal démocratique (…) indissociable de la conception humaniste de la perfectibilité, présupposant une certaine indétermination et une relative autonomie de l’homme par rapport à la Nature », est oubliée par le courant transhumaniste en faveur d’une pensée davantage scientiste et biologisante, telle qu’elle s’est développée au 19ème siècle, en particulier avec Auguste Comte. Pour analyser le passage de l’une à l’autre Nicolas Le Dévédec cherche à distinguer les fondements de ce modèle de la perfectibilité des individus et de leurs capacités.

Le fondement de la mystique :

L’auteur désigne une « véritable religion de l’amélioration » avec la naissance du transhumanisme. Le terme transhumanisme marque le côté mystique du mouvement de pensée : « qu’un moine jésuite se fasse à la fin des années 40 le prophète d’un nouvel homme nouveau prône aujourd’hui par les militants du transhumanisme jette du reste un éclairage particulièrement intéressant sur la teneur religieuse du mouvement ». En amont de l’emploi du mot « transhumanisme» par Julian Huxley, c’est bien pour l’auteur « Theilhard de Chardin lui-même qui, dans son ouvrage l’avenir de l’homme publié en 1951, emploie pour la première fois le terme emploie pour la première fois le terme de « trans-humanité » afin de désigner cet au-delà technologique de l’humain qu’il appelle de ses vœux».

Le fondement de l’inéluctabilité :

Le DevedecLa rupture est consommée quand la perfectibilité « ne se pose plus dans le registre de l’inventivité mais dans celui de la nécessité ». A ce stade de la démonstration, l’auteur fait intervenir Leroi-Gourhan, élève de Marcel Mauss, et sa réflexion socio-anthropologique d’extériorisation technique du fait humain. Il souligne une ambiguïté de sa pensée qui laisse la part belle, non pas à sa conception de l’indétermination corporelle de l’être humain, en ligne avec la tradition humaniste de l’homme perfectible, mais davantage à une perspective évolutionniste et adaptative de «l’extériorisation technique de l’humain et (..) la conception quasi biologique de la technique qu’il défend à certains moments », une conception organiciste du système technique. L’auteur rapproche la pensée de Leroi-Gourhan de celle de Teilhard de Chardin, dans l’idée d’un processus de déchargement progressif et inéluctable des facultés organiques de l’homme, jusqu’au déchargement ultime, celui du cerveau. La pensée de Leroi-Gourhan est, pour l’auteur, essentielle dans la mesure où elle a influencé des auteurs contemporains tels que Gilles Deleuze, Jacques Derrida ou encore Bruno Latour. 

 

Les fondements plus récents : du constructivisme à l’absence de fondement

Dans les années 1980, dans le sillage des penseurs post-modernes, Donna Haraway met en avant dans Le Manifeste Cyborg, l’utopie de « la figure dénaturalisée » du cyborg. L’auteur dénonce une forte croyance aux « vertus émancipatrices des technosciences », « une conception radicalement et exclusivement artificialiste et constructiviste de l’être humain… comme si la seule amélioration de la condition humaine possible devait consister en un arrachement de l’être humain à toute condition humaine terrestre ». Dans la foulée, il  critique aussi le modèle de perfectibilité tel qu’il se dégage de la pensée du sociologue des sciences Bruno Latour, notamment dans le rejet de la distinction classique entre nature et culture. A ses yeux, ce modèle porte une responsabilité dans le phénomène qu’il décrit :  « privé de nature, le modèle cosmopolitique de la perfectibilité rend invisibles les formes contemporaines d’instrumentalisation et d’hybridation technoscientifiques des êtres et des choses ».

Le dernier modèle analysé dans l’ouvrage est celui des « bioéthiciens libéraux » contemporains. Ce modèle se distingue par l’absence de tout fondement, de toute valeur substantielle dans la démarche de justification des choix techniques. Dans cette perspective, les nouvelles technologies ne sont ni bonnes ni mauvaises en elles-même, tout dépend de l’usage que l’on en fait. Le maitre mot est donc régulation. L’atour reconnaît que le modèle n’exclut pas le respect de certaines valeurs dans le credo « liberté, égalité, sécurité ». Mais il estime qu’il se concrétise notamment dans l’acceptation du principe d’un eugénisme libéral.  Cette régulation contemporaine de l’amélioration constituerait une manière indirecte de la justifier, au lieu de la considérer comme un choix de société effectué sur la base de fondements théoriques. En définitive, le cadre bioéthique procédural légitimerait  la société de l’amélioration contemporaine.

Nicolas Le Dévédec. La société de l’amélioration. La perfectibilité humaine des Lumières au transhumanisme. Montréal : Liber, 2016. 263 p.

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