Essentiel quand des technologies gagnent chaque jour davantage de terrain dans l’accès au cerveau humain et à son fonctionnement, le concept de « mental privacy » exprime le besoin d’un secret cérébral, un secret qui serait attaché aux informations et données qui caractérisent le fonctionnement cérébral d’un personne et son comportement. La difficulté de traduire l’expression en langue française complique l’approche de la “privacy”, laquelle évoque en premier lieu un territoire qui serait “réservé”. Les traductions évoquent pêle-mêle confidentialité, intimité, vie privée, secret, subjectivité ou for intérieur. Le terme fait partie des expressions anglo-saxonnes qui n’ont pas d’équivalent simple en langue française. On peut tenter de retenir comme traduction possible le mot « confidentiel », représentant ce qui n’a pas vocation à être partagé. Le concept de “mental privacy” mérite que l’on s’y attarde, tant le domaine de l’intime est indissociable de la modernité et de la démocratie, ainsi que l’analyse la philosophe Cynthia Fleury (1). Même s’il ne faut pas perdre de vue que les neuro-technologies permettent d’accèder à des données, en aucun cas à une pensée complexe.
Dans les domaines de la justice criminelle, de la police des frontières ou plus généralement pour la surveillance des personnes, les informations recueillies dans le domaine de la santé mentale, de plus en plus nombreuses, concurrencent déjà l’existence d’une “mental privacy”. Le recueil peut se faire dans des objectifs de recherche, par des applications et des appareils connectés dans des objectifs de soins ou de bien-être (« internet des objets »), ou encore dans le cadre d’un suivi médical : « while well-designed digital technologies may be used to promote effective mental health and crisis support, they raise thorny ethical issues. Moreover, the potential for a range of “data harms” is enormous, including algorithmic hiring programs that discriminate against people with histories of mental health treatment, weaponization of mental health data by criminal justice and border agencies, and invasive biometric monitoring and surveillance regimes that dehumanize care. At the same time, the legal and policy frameworks that regulate the use of these technologies in mental health contexts have been underinclusive of the perspectives of people with lived experience of profound psychological distress, mental health conditions, psychosocial disabilities, and other stakeholders » expliquent aux Etats-Unis les organisateurs d’une conférence à venir “Artificial Intelligence in Mental Health: Strategies for avoiding potential data harms (2).
Les neurotechnologies ne dévoilent pas le psychisme ni la pensée complexe.
L’enregistrement de données cérébrales est loin cependant de dévoiler une pensée complexe qui lui correspondrait. Ainsi l’imagerie cérébrale fonctionnelle, IRMf, démontre une activité cérébrale, pas un psychisme (cf article Anthropotechnie du 26 octobre 2021) (3). Elle ne permet aucune interprétation concernant le psychisme d’une personne : “L’IRMf ne mesure pas directement l’activité des neurones, mais un signal moyen correspondant aux modifications métaboliques locales complexes (au niveau de l’unité neuro-vasculaire) associées à cette activité. L’image obtenue est donc un reflet indirect, une photographie moyenne de variations métaboliques, avec très peu d’informations sur les échanges rapides conduisant à une action ou à un raisonnement » (3). Le problème dans le domaine judiciaire est le suivant : “Démontrer un fait ou apporter une preuve ne peuvent se fonder que sur une « normalité » partielle, impossible à définir dans le domaine judiciaire, et risquant ainsi de conduire à des surinterprétations ou à des conclusions erronées (…). La neuro-imagerie ne peut prétendre être une vision de la pensée complexe, ne contribuant qu’à une simple mise en évidence des marqueurs physiologiques d’une activité cérébrale » expliquent Claude Delpuech et Pierre-Henri Duée, membres du CNCE, Conseil National Consultatif d’Ethique.
1 – Camille Riquier et Cynthia Fleury. “L’intime, le privé et le numérique ». Conférence dans le cadre du séminaire citoyenne et numérique. Lundi 6 mars 2023. Institut Catholique de Paris, ICP.
2 -The Petrie-Flom Center for health law policy, biotechnology and bioethics at Harvard Law school. “Artificial Intelligence in Mental Health: Strategies for avoiding potential data harms », conférence en ligne le 22 mars. https://petrieflom.law.harvard.edu/events/details/artificial-intelligence-mental-health
2- Claude Delpuech, Pierre-Henri Duée. Neurosciences et loi de bioéthique. F.F.E. | « Annales des Mines – Réalités industrielles » 2021/3 Août 2021 | pages 46 à 49 ISSN 1148-7941. https://www.cairn.info/revue-realites-industrielles-2021-3-page-46.htm
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