Avatar flottant dans l’univers ouaté des limbes numériques, digi-moi ou moi-numérique, un nouveau moi serait désormais immortel. Il est une nouvelle manière de ne plus mourir : l’immortalité digitale, dans la perpétuation de données numériques et de la représentation de celles-ci, sous forme d’avatars, de robots humanoïdes, ou d’autres modèle 3D, chatbots, videos … L’immortalité digitale consiste à continuer de vivre dans des données numériques qui expriment le vivant au-delà de la vie. L’homme d’affaire russe Dimitri Istkov mise sur cette conservation des données et les progrès de l’intelligence artificielle pour s’assurer une vie éternelle. Son programme technologique ambitionne la création d’un avatar holographique personnalisé d’ici 2045. D’autres entreprises proposent différentes manières d’assurer cette immortalité digitale, à travers des déclinaisons de l’utilisation de données numériques. Anne-Blandine Caire, professeur de droit privé, cite plusieurs de ces technologies «L’immortalité numérique, entre fantasme entre business » (2) : Replika (compagnon virtuel et copie numérique), Eterni.me ou encore Nectome (mind uploading, c’est à dire téléchargement du cerveau dans un support matériel), Grantwill spécialisée dans l’envoi de messages post-mortem, pour pouvoir exprimer d’outre-tombe tout ce qu’on n’a pas osé dire de son vivant…
D’un point de vue réglementaire (3), l’identité numérique des personnes décédées est encadrée par l’article 84 de la loi « Informatique et liberté ». Le texte pose pour principe l’extinction des droits personnels promus par la loi (accès, modification, etc.) avec le décès de la personne. Il reste que « toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès ». La voie semble libre dès lors pour prévoir une utilisation des données post-mortem, et la désignation d’une personne une personne chargée de l’exécution du projet. Dans la recommandation n° 28, les rapporteurs d’une mission d’information de l’Assemblée nationale suggèrent «afin de garantir la pleine effectivité du dispositif juridique de l’identité numérique des personnes décédées, (de) publier le décret prévu à l’article 85 de la loi « Informatique et libertés » concernant les directives générales qu’une personne décédée peut définir à propos de la conservation, l’effacement et la communication de ses données personnelles ». Davantage de précisions sont donc à venir pour compléter le dispositif actuel. Une question persiste : que se passe t-il si le défunt n’a pas laissé de directives et si les héritiers ne se désintéressent des données numériques « face à l‘inertie des uns et des autres, les comptes des personnes décédées demeurent parfois actifs et se transforment parfois en mausolées numériques. Du reste on voit maintenant se développer des comptes mémoriels » souligne A. B. Caire.
Quel serait le sens de telles démarches : apaiser la douleur de l’absence pour les survivants, apaiser la peur de la mort chez les vivants, provoquer éternellement des dissensions entre ses descendants ? Ce dernier scénario est celui du livre « Ce matin Maman a été téléchargée»(1), de Jean-Gabriel Ganascia. L’auteur, directeur du Comité d’éthique du CNRS, spécialiste d’intelligence artificielle, raconte avec humour comment une femme âgée et malade décide avant de mourir d’organiser son téléchargement dans un robot humanoïde. Ce dernier vivrait éternellement aux cotés de son fils et pourrait ainsi continuer de le surveiller et de contrôler ses fréquentations. L’auteur a précisé qu’il pensait impossible que de telles technologies de dissociation du corps et de l’esprit – la métensomatose numérique -puissent, un jour, être réalisables.
1– Gabriel Naëj (J. M. Ganascia). Ce matin Maman a été téléchargée. Paris : Libella, 2019.
2- Anne-Blandine Caire. L’immortalité numérique, entre fantasme et business. The Conversation. 16 janvier 2020. https://theconversation.com/limmortalite-numerique-entre-fantasme-et-business-129384
3- L’identité numérique. Rapport d’information. Assemblée nationale. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/micnum/l15b3190_rapport-information#_Toc256000142
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