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Homo Dispersus : quelle valeur pour les cellules humaines, une fois détachées de la personne d'origine ?

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Qu’advient-il des éléments du corps humain, une fois détachés de l’individu vivant, une fois le lien du substrat rompu. Cellules, cellules souches, neurones, salive : quelle est la valeur des éléments humains ainsi dispersés ? Détachés de la personne d’origine (1), ces éléments sont destinés à des existences nouvelles, parfois inédites, parfois immortelles  -à l’instar des cellules d’Henrietta Lacks (2) subrepticement prélevées au cours d’une biopsie effectuée sur la jeune femme et dont les lignées ont connu une incroyable postérité dans le domaine de la recherche. Dans quelle mesure l’individu a t-il encore le contrôle de ces parties de lui-même, font-elles encore parties du soi lorsqu’elle sont utilisés, “techniquées” disent certains (1),  en dehors de soi dans des biobanques, des laboratoires de recherche ou des entreprises de biotechnologies ? Dans quelle mesure le soi en dehors du soi est-il encore le soi ? A l’heure où est évoquée la possibilité d’un apport d’organoïdes cérébraux, issus de neurones humains, à la fabrication de bio-ordinateurs –  la question semble à la fois légitime et d’actualité. 

Les éléments détachés du corps humain se multiplient et les possibilités d’utilisation semblent infinies : des technologies autorisent le prélèvement, la conservation à très grande échelle et pour de très longues durées (jusqu’à la congélation), des prolongements d’existence via les cellules souches dans les organoïdes ou des organes d’animaux. La question de leur valeur patrimoniale ou économique est sous-tendue par une réflexion, indispensable et manquante,  portant sur la valeur morale des éléments humains décorporés, sur la manière de considérer leur “humanité”. Cette “humanité” au sens de l’origine humaine serait analysée d’une part dans le lien  à l’humain-espèce, et d’autre part dans le lien à l’humain-individu. La question est de savoir dans quelle mesure cette humanité persiste ou non selon la nature des éléments humains détachés, qu’ils s’agisse de cellules de peau, de neurones ou d’organes,  de quelle manière elle se décline à travers les différents procédés techniques utilisés dans l’espace et dans le temps.

La réflexion doit également prendre en compte la manière dont les personnes d’origine considèrent eux-mêmes leurs éléments décorporés :  comment se sent-on lorsque l’on sait qu’une partie de soi vit une existence indépendante, parfois même avec des destinations futures pas toujours connues, puisque liées à des technologies émergentes.

La manière dont les personnes d’origine considèrent eux-mêmes leurs éléments décorporés.

Mieux cerner le statut et la valeur des éléments humains décorporés implique de se pencher au préalable sur la genèse de ces éléments : les conditions de la séparation entre la personne d’origine et les éléments séparés; puis les conditions de la séparation entre les éléments matériels et les données correspondantes. La valeur des éléments humains détachés s’analyse à la fois dans le processus de leur exploitation pour la recherche médicale et dans l’utilisation des données pour alimenter des modèles algorithmiques.

Le cas particulier des gamètes dont la destinée, par nature vouée à une existence séparée dans le processus de reproduction,  ne semble – a priori – pas devoir entrer dans le champ de cette réflexion.  La réalité semble néanmoins devenir plus complexe. Il est possible que les gamètes puisse, un jour, être fabriquées à partir de cellules humaines pré-existantes, au cours d’un processus nommé gametogenese in vitro. Des travaux réalisés chez les souris démontrent qu’il est possible de recréer des gamètes à partir de cellules de peau, via des cellules souches poluripotentes induites :” Progress in the in vitro derivation of human gametes (eggs and sperm) continues to advance. In vitro–derived gametes are generated using pluripotent stem cells (PSCs) through a process called “in vitro gametogenesis” (IVG) ” (4). Au delà du cas des gamètes, la multiplication des possibilités d’évolution des cellules humaines, via les cellules souches, pourrait rendre nécessaire un statut global des éléments humains détachés.  

Le lien avec la personne d’origine

Des travaux ont permis d’avancer dans la réflexion, en particulier à travers le concept de “bio-objet”. L’expression peine néanmoins à traduire l’ensemble des évolutions et transformations, des possibilités technologiques de reconstituer des ensembles à partir de ces éléments. Le mot “bio-objet” tendrait  à effacer, selon Xavier Guchet, philosophe des techniques, le lien avec la personne d’origine. Or un élément biologique ne se définit pas, pour l’auteur,  uniquement à travers sa circulation dans un espace extra-corporel, mais aussi par son lien avec la personne d’origine, avec le déroulement de l’acte de prélèvement et avec les modalités de gestion des collections. X. Guchet souligne ainsi l’importance du maintien de l’attache des éléments humains séparés aux espaces qu’il a quitté (1). 

La réalité des usages des cellules, neurones, salive et autres éléments humains détachés du corps est-elle correctement appréhendée par la loi française qui se préoccupe logiquement davantage de l'”intégrité” du corps humain que de sa dispersion ?  Les dispositions de l’article 16 du Code Civil en particulier semblent correspondre à une époque où le lien entre la personne d’origine et les produits et éléments détachés restait nécessairement très fort. Cette époque semble révolue.

 

 

 

1 –  L’expression “personne d’origine” est reprise des travaux de Xavier Guchet.

Emmanuel Clarizio, Celine Chérici, Jena-Claude Dupont, Xavier Guchet et Yves-Edouard Herpe (sous la direction de). Conserver le vivant, les biobanques face au défi de la médecine personnalisé. Paris : 2022, Editions Matériologiques.

2 – Les cellules HeLa :  les cellules HeLa, du nom d’Henrietta Lacks, atteinte d’un cancer fulgurant et morte en 1951 à l’âge de 31 ans, ont  prélevées au cours d’une biopsie, sans information ni consentement, ni rétribution morale ou financière ni à elle ni à sa descendance. Les cellules HeLa sont dites immortelles en raison de leur virulence qui leur permet de se reproduire indéfiniment. Les travaux de recherche sur ces lignées ont été à l’origine de très nombreuses avancées médicales ( ). Une statue d’Henrietta Lacks a été érigée a Boston. 

4 – National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. 2023. In Vitro Derived Human Gametes: Scientific, Ethical, and Regulatory Implications: Proceedings of a Workshop. Washington, DC: The National Academies Press. https://doi.org/10.17226/27259.

 

 

 

 

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