Le psychisme davantage que le physique : pour l’avenir, les aptitudes mentales et cognitives (1) du soldat seront de plus en plus déterminantes. Tolérance au stress et résilience cognitive deviennent ainsi les maîtres-mots pour les champs de bataille du futur. Des technologies correspondantes, notamment pour l’entraînement et le monitoring des comportements militaires, sont à l’étude.
Pourquoi cette évolution ? La numérisation du champ de bataille en est la principale cause, la “charge mentale” habituelle pouvant se transformer en une “surcharge” néfaste : “la numérisation du champ de bataille apporte une indéniable contribution à la supériorité opérationnelle. Elle va cependant de pair avec une augmentation significative des données échangées sur le champ de bataille (…). Se pose alors la question de la capacité de l’être humain, et notamment du chef militaire, à pouvoir traiter toutes ces informations en un temps court voire très court, ce qui va dès lors augmenter sa charge cognitive, donc sa charge mentale, car plus d’informations à traiter signifie logiquement un ralentissement du processus de décision cognitive” explique Hervé de Courrège, Général de division, dans les Cahiers de La Défense Nationale (2). Appliquée à un pilote de chasse, la situation est la suivante : “dans un avion de combat moderne, le pilote évolue dans un environnement où il doit gérer simultanément une multitude de tâches complexes. Ces tâches incluent la maîtrise du pilotage, la gestion des systèmes d’armes et des sous-systèmes de l’appareil, la navigation, ainsi que la communication avec d’autres aéronefs et des organismes terrestres, qu’ils soient de contrôle ou d’appui. De plus, le pilote doit identifier et évaluer rapidement les menaces, aériennes ou sol-sol, tout en prenant des décisions critiques dans des situations à haut risque, souvent sous une forte pression temporelle et un stress important. La complexité de ces opérations peut être assimilée à la résolution d’une équation différentielle où varient l’espace, les ressources matérielles (carburant, munitions), les capacités cognitives du pilote et les menaces en fonction du temps. Lorsque la charge cognitive dépasse les capacités de traitement du cerveau, une saturation cognitive se produit, compromettant la capacité du pilote à traiter efficacement l’information” témoigne Christophe Melet (2).
Pour anticiper au mieux des effets d’une “surcharge cognitive”, une panoplie d’outils d’entraînement, de simulation, de modélisation et de monitoring sont envisagés. Des activités de monitoring sont par exemple être mises en oeuvre via des tests, mis au point à partir des avancées des neurosciences fondamentales et les données analysés par IA. Des technologies d’enregistrement des ondes cérébrales (EEG) peuvent être utilisées. “Le graal serait de pouvoir mesurer en direct la surcharge cognitive et son impact sur les capacités décisionnelles, pour prévenir son émergence au niveau du combattant et du groupe. Certains industriels spécialistes y travaillent, développant des outils de mesure en fonction du degré de difficulté des tâches exécutées, sans oublier que l’interaction des émotions sur les capacités décisionnelles reste très variable selon les individus, ce qui rend la mesure plus complexe …” expliquent Sandra Suarez et Bertrand Eynard, co-créateurs du dispositif Mindpulse (2).
En effet, dans le domaine militaire comme tous les autres domaines d’application des neurotechnologies, il convient de rester prudent. Les prédictions d’actions à partir de l’interprétation de données d’activité cérébrale, que ce soit par EEG ou bien par imagerie cérébrale (IRM) sont loin d’être évidentes. Des données recueillies sur le fonctionnement neuronal ne peuvent être automatiquement associées à un état mental correspondant. Pour cette raison, l’usage comme preuve de données issues d’IRM fonctionnels est d’ailleurs interdit devant les tribunaux. La France a été pionnière dans ce domaine avec l’adoption de cette disposition dans la dernière loi de bioéthique de 2021. La complexité de la condition humaine résiste à toute forme d’interprétation qui serait trop simple du psychisme, tant pour les comportements individuels que pour les comportements de groupe. Cette complexité sera à prendre en compte dans la réflexion engagée par le monde militaire sur les neurosciences appliquées, non seulement aux comportements individuels mais aussi aux comportements collectifs, dans l’objectif de penser et de prendre des décisions collectivement (3).
1 -Le terme « état mental » désigne des perceptions ou expériences sensorielles, des états émotionnels, des états de conscience ou d’attention, les désirs, les souvenirs et les pensées. Inferring Mental States from Brain Data: Ethico-legal Questions about Social Uses of Brain Data,” Hastings Center Report 55, no. 1 (2025): 22–32. DOI: 10.1002/hast.4958
, “2 – Les Cahiers de la RDN. Le soldat augmenté. Surcharge cognitive : la comprendre et la gérer.
https://www.defnat.com/e-RDN/sommaire_cahier.php?cidcahier=1368
3 – CReC Saint Cyr. “Quels apports des neurosciences dans la conduite d’une action militaire collective ?” https://www.terre.defense.gouv.fr/crec/actualites/quels-apports-neurosciences-conduite-dune-action-militaire-collective
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