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Pour une "conscientisation" des enjeux de l'intelligence artificielle. A lire.

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“Intéresser les esprits au sort de l’esprit, c’est à dire à leur propre sort” (1) : l’injonction de Peguy frappe les esprits, évidemment. Quel est aujourd’hui le sort de l’esprit, à l’heure où les technologies numériques contemporaines constituent les nouveaux vecteurs de circulation de la pensée, se demande Anne Alombert, enseignante en philosophie, Paris VIII,  dans Schizophrenie numérique. La crise de l’esprit à l’heure des nouvelles technologies.

L’extériorisation de l’esprit, sa circulation autorisée par des moyens techniques, dans les déclinaisons de l’imprimerie, de la photographie, du cinéma, de la télévision et  les usages du numérique, à la fois transcendent et fragilisent l’esprit. De l’imprimerie à l’intelligence artificielle, l’esprit humain, à force de circuler, ne risque t-il pas de se perdre ?

Dans un ouvrage interessant toute personne soucieuse de mieux cerner les enjeux de la prise de pouvoir de certains groupes sur l’esprit des autres groupes, A. Alombert analyse les conditions de l’externalisation de la pensée par les technologies. Et participe ainsi à la réflexion émergente sur le devenir du libre arbitre et de l'”entendement”,  sur la possibilité de vivre une existence autonome quand des algorithmes omniprésents interfèrent avec les comportements, les décisions individuelles et les décisions collectives.

La conscientisation des esprits aux enjeux du numérique

De même que Bernard Stiegler exprime une « pensée de l’organologie », théorie des interactions avec des organes techniques situés en dehors du corps, l’auteur pose le problème de la circulation des esprits dans “un double processus d’intériorisation psychique et d’extériorisation technique“, dans les déclinaisons de l’imprimerie, de la photographie, du cinéma, de la télévision et enfin les usages du numérique. De l’alphabet à l’intelligence artificielle, l’auteur examine le sort de l’esprit dans son extériorisation technique à travers les âges, dans l’idée de développer une conscience des techniques de l’esprit, une conscience à la fois historique et contemporaine. La première rendant possible la seconde. Platon, rappelle t-elle, avait  identifié les dangers de la mémoire externalisée par l’écriture et les risques d’affaiblissement des capacités mémorielles et de reflexion, et fondé l’Académie pour ” lutter contre l’appropriation de l’écriture par les sophistes et permettre aux citoyens d’adopter la nouvelle technique à travers des disciplines reflexives“.

Depuis quelques années les observations, les analyses, diagnostics et critiques des univers numériques, des usages excessifs des écrans, de l’antopomorphisme, des effets des réseaux et des interfaces numériques sur les cerveaux, de l’économie de l’attention ne manquent pas. A. Alombert, si elle présente cette pensée critique contemporaine, tente d’aller au delà, prenant en compte une théorie de la circulation de l’esprit : “l’esprit n’est pas à proprement parler, il ne fait que passer et circuler, dans les milieux technosymboliques, par lesquels nous sommes entourés. L’esprit est une activité ou une relation qui suppose toujours des corps vivants et un milieu technique pour s’exercer…“.

L’auteur suggère le développement d’une “conscientisation” accrue aux enjeux du numérique et à l’anthropologie des techniques, indispensable au débat public et à la prise de décisions,  afin de “ transformer les récepteurs passifs de (des-)information que sont devenus les usagers, en producteurs critiques de savoirs collectifs et certifiés“.  Elle évoque  notamment l’ouverture de l’enseignement général à des matières numériques, au motif que “de même que la pratique des techniques de l’écriture, de la grammaire et de l’argumentation au cours de l’éducation aide à lire un texte de manière critique, de même la pratique des techniques de production audiovisuelle et numérique pourrait aider à recevoir une video ou une image de manière critique“. L’auteur suggère de mettre les outils numériques au service de la collectivité à travers des communs numériques, des espaces publics numériques pour de nouvelles possibilités de réflexion collective et de délibération ” des modèles économiques fondés sur la partage de savoirs singuliers et diversifiés, plutôt que la marchandisations de données personnelles…“.

“Le danger n’est pas dans les progrès d’une superintelligence artificielle, il est dans l’industrialisation des esprits et l’automatisation de l’altérité” affirme Anne Alombert, en conclusion de ce petit ouvrage salutaireIl est certain qu’au minimum les deux sont liés. A un certain stade d’industrialisation et d’automatisation de l’esprit comment serait-il possible à ‘humanité de rester vigilante et lucide sur les enjeux de l’intelligence artificielle dans la société humaine ? La course à la montre est lancée – pour la conscientisation du numérique.

A lire :

1  Anne Alombert. Schizophrenie numérique. La crise de l’esprit à l’heure des nouvelles technologies. Paris : Allia, 2023.

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