A lire : Laurent Alexandre et Jean-Michel Besnier. Les robots font-ils l’amour ? Le transhumanisme en 12 questions. Paris : Dunod, 2016.
Ce livre porte sur un sujet bien moins léger que ne laisse présager le titre ! Notre futur cérébral, dans une société algorithmique et robotisée, se réduirait à une alternative peu réjouissante : un capitalisme cognitif ou un communisme 2.0.
Le capitalisme cognitif est décrit par Jean-Michel Besnier comme une perte de la maîtrise du produit de notre activité cérébrale dans une logique capitaliste de concentration des données. Le communisme 2.0 est présenté par Laurent Alexandre comme l’égalitarisme technologique des capacités intellectuelles par la généralisation des prothèses cérébrales. Dans cette société, les individus vivraient d’une distribution de biens et de services identiques, seraient privés de travail au profit des machines et la monnaie serait devenue inutile. Voilà pour le futur. Pour le présent, les deux auteurs font le constat d’une société minée depuis le milieu du 20ème siècle par le sentiment déprimant de sa faiblesse grandissante et de son absence de prise face à la puissance nouvelle des machines.
Au-delà de la question des multiples utilisations de robots devenus sociaux, de leur autonomie grandissante, du futur de la reproduction et plus généralement de l’amélioration des capacités humaines, le livre porte davantage sur les grandes questions qui traversent les rapports entre les hommes et les technologies, l‘organisation prochaine de la société.
Dans cet ouvrage à quatre mains Laurent Alexandre, dans le rôle du visionnaire, décrypte les processus et les pratiques à venir, les nouveaux rapports de force politiques et sociaux induits par les révolutions technologiques. S’il ne condamne pas ces évolutions, L. Alexandre pointe le risque de la perte de maîtrise de notre cerveau, lequel sombrerait dans une « tempête numérique» et la transformation de l’humanité par Google : «la maîtrise de notre cerveau va devenir le premier des droits de l’homme ». Jean-Michel Besnier dans le rôle du philosophe, interprète ces mutations, cherche les significations à la lumière d’une tradition humaniste et de la quête de perfectibilité. J.M. Besnier critique une culture de l’innovation à tout prix qui voudrait « confier au marché le soin de décider si un produit mérite de survivre et de se développer » et le « capitalisme cognitif » qui concentre les données et leurs réseaux numériques et sociaux. Il s’alarme des « promesses de renouveau », de la « fabrication de l’humain » comme autant d’échos à une tendance totalitaire. Il invite à relativiser les effets d’annonce des dirigeants de la Silicon Valley, en particulier pour l’e-santé et sa cohorte de nouveaux objets connectés : bracelets électroniques, scanners d’aliments, fourchettes vibrantes, auscultations via Internet, décryptage bon marché de l’ADN, nanorobots injectés par voie de gélules…
Il est beaucoup question dans cet ouvrage d’intelligence, humaine et artificielle, et d’hybridation entre les deux. De ce point de vue, les deux auteurs sont complémentaires. Un appel à l’intelligence sensible et symbolique, à une humanité selon J.M. Besnier « instigatrice d’une existence fondée sur la résistance au réel, dont la fonction symbolique (le langage, la culture, les arts…) est depuis toujours le ferment ». L. Alexandre lance de son coté un appel à l’intelligence politique, dans l’organisation de contre-pouvoirs, notamment pour contrebalancer le développement de l’intelligence artificielle et faire face aux GAFA.
A travers le diagnostic de ces angoisses sociales contemporaines, les auteurs recherchent les clés politiques de l’édification d’une société apaisée dans ses relations avec la technologie. L. Alexandre défend l’idée d’une nouvelle organisation politique : « explosives, les technologies NBIC justifieraient une réinvention du rôle régulateur de l’Etat (…) les entreprises high tech pensent avoir un rôle politique ! ». Le problème principal pour J.M. Besnier ne réside pas tant dans l’Etat que dans la démocratie : « Il lui faut être tempérée par ce qui relève de la réflexion et du symbolique (c’est à dire de la communication politique permise par le langage)». La pondération des antropotechnies se ferait par la délibération des sages désignés par les autorités politiques, voire à travers une démocratie technique, un arbitrage démocratique des technologies d’amélioration de l’humain.
Le véritable sens de l’intelligence humaine serait en définitive pour les deux auteurs de reprendre la main et de décider de manière urgente comment les hommes veulent naître, vivre et mourir et avec quelles sortes de machines ils acceptent de cohabiter.
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